Changer de marque sans perdre de clients
D’après une interview de Véronique Pauwels-Delassus et l’article « The impact of consumer resistance to brand substitution on brand relationship » cosigné par Raluca Mogos Descotes (Journal of Consumer Marketing vol. 32 no.1 pp. 34 – 42, janvier 2015).
Les principes de la résistance au changement utilisés en management s’appliquent aussi pour les consommateurs quand une entreprise décide de faire évoluer le nom d’une de ses marques. Limiter la résistance est d’ailleurs le facteur décisif du transfert de confiance de la marque abandonnée vers la marque de substitution. Comment faire évoluer sa marque en minimisant les risques ? Véronique Pauwels-Delassus nous explique la marche à suivre.
Biographie
Dr. Véronique Pauwels-Delassus (Ph.D.) est professeur associé en marketing à l’IÉSEG School of Management – Université Catholique de Lille (LEM – CNRS). Avant son entrée dans le monde académique, elle était directrice marketing dans un groupe alimentaire international.
Ses recherches portent sur le management stratégique des marques, la création de valeur de marque et la résistance des consommateurs au changement. Véronique Pauwels-Delassus est auteur du livre Handbook of Brand Management Scales (Routledge, août 2015).
Méthodologie
Véronique Pauwels-Delassus et Raluca Mogos Descotes (University of Lorraine, CEREFIGE) ont réalisé une première étude qualitative auprès de 18 consommateurs pour tester les facteurs qui favorisent le transfert de confiance et de fidélité de la marque abandonnée vers la marque de substitution. Les chercheurs se sont en particulier intéressés au changement de nom des marques Taillefine et Petit Déjeuner, devenues respectivement Belvita et Petit Déjeuner de Belvita après le rachat par Kraft Foods (Mondelēz International) de LU la division biscuits de Danone. Une seconde étude quantitative a ensuite été réalisée auprès de 313 consommateurs.
Bio de Danone s’appelle désormais Activia, France Télécom est devenu Orange, Champion a cédé son nom à Carrefour Market… Rachat de marque ou d’entreprise, changement de législation, économies d’échelle et de packaging, globalisation des marchés, les raisons qui poussent à conduire un changement de marque sont nombreuses. Mais si une entreprise peut y gagner, elle y a aussi énormément à perdre. Car même si les changements de marque sont de plus en plus fréquents, il s’agit d’une stratégie risquée pouvant anéantir des années d’investissements marketing. Comment limiter les risques ?
Tirer profit de la marque caution
La marque étant, par définition, le « marqueur », l’élément de reconnaissance d’une gamme de produits, tout changement de nom fragilise la relation avec les clients. Il conduit inéluctablement (au moins temporairement) à une perte de repères qui génère confusion et résistance au changement. Le consommateur, qui n’a pas encore confiance dans la nouvelle marque, risque alors de se tourner vers un produit de substitution. D’autant que si la nouvelle marque n’est pas suffisamment associée à l’ancienne dans son esprit, il peut penser qu’il s’agit d’une nouvelle gamme de produits remplaçant l’ancienne.
Dans ce contexte, l’existence d’une marque caution constitue un premier facteur clé de succès, la marque abandonnée pouvant jouer temporairement ce rôle. Ceci minimise le risque perçu en apportant une garantie de qualité à l’ensemble de la gamme de produits. Mais cela ne suffit pas à garantir le succès du changement de marque. Par exemple, lorsque Kraft foods (Mondelēz International) a racheté à Danone la division biscuit LU, il a été contraint de renoncer à la marque Taillefine apposée sur certains biscuits, puisque Taillefine restait la propriété de Danone (utilisée notamment pour ses yaourts). Le produit est resté le même, la marque caution LU a été maintenue, seuls le nom et le packaging ont évolué : Taillefine a cédé la place à Belvita. Malgré tous les efforts de communication réalisés pour faire connaître la marque Belvita, ce changement a été un tel échec que Kraft a finalement décidé d’arrêter cette gamme initiale de biscuits. Dans ce contexte, quelle stratégie déployer ?
Minimiser la résistance au changement
Selon la théorie du changement dans les organisations, la résistance diminue si le changement est progressif, si les employés sont bien informés et s’ils perçoivent un bénéfice au changement. L’étude menée par Véronique Pauwels-Delassus et Raluca Mogos Descotes montre que ces idées valent aussi pour les consommateurs. En jeu : la confiance, mélange de crédibilité, d’intégrité et de bienveillance qu’il faut s’efforcer de transférer d’une marque à l’autre. Car si la confiance est acquise à une marque, la fidélité l’est aussi.
Il s’agit donc de tout mettre en œuvre pour que les consommateurs adoptent vis-à-vis de la nouvelle marque une opinion et une attitude positive. Pour y parvenir, Véronique Pauwels-Delassus conseille de faire preuve de transparence et de bien les informer en leur fournissant une explication qui légitime le changement de marque. Ensuite, il faut leur montrer le bénéfice qu’ils ont à en tirer. Grâce aux réseaux sociaux, il est relativement facile d’impliquer les clients dans ce processus, par exemple en dévoilant les projets de nouveaux emballages et en tenant compte de leur avis pour préserver la relation et la confiance tout en optimisant les produits.
Réussir son changement de marque
Dans le cadre de ce processus d’information et d’implication, Véronique Pauwels-Delassus ajoute qu’il est indispensable d’observer une période de transition en associant les deux marques : le changement doit être progressif. Mais attention, cette phase ne doit pas être trop longue, sans quoi le consommateur finira par assimiler les deux marques, comme ce fut le cas pour Gemey Maybelline en France.
Enfin, pour que le changement de marque soit un succès, il convient de limiter au maximum les autres transformations : ce n’est pas le moment d’innover, ni sur l’emballage, ni en matière de qualité de produit ! Le premier achat étant décisif, il peut être utile de l’encourager par des actions promotionnelles. Il s’agit alors du meilleur moyen de fournir au consommateur la preuve que la qualité n’a pas changé. Par la suite, plus il achète les produits de la nouvelle marque, plus sa confiance et sa fidélité augmenteront.
Applications pratiques
Un changement de marque n’est jamais neutre. Il fragilise forcément la relation avec les consommateurs, temporairement au moins. C’est un long processus, risqué et coûteux qui nécessite de lourds investissements de communication.
Il est donc important de bien étudier l’enveloppe globale du changement de marque avant de se lancer dans cette aventure. Les économies d’échelle ne sont pas toujours au rendez-vous. Mais le succès est possible, à condition que le changement soit progressif et bien mené afin d’accompagner les consommateurs vers la nouvelle marque. Cette étude, résolument pratique, menée par Véronique Pauwels-Delassus et Raluca Mogos Descotes permettra aux responsables marketing qui veulent procéder à des changements de marque d’en tirer profit au maximum.