Développer la performance d’une équipe en favorisant l’émergence de routines
D’après un entretien avec Caroline Sargis-Roussel et l’article « Routinisation et performance des équipes de travail – Une analyse par le capital social », de Cécile Belmondo, François Deltour et Caroline Sargis-Roussel, publié en 2015 dans la Revue Française de Gestion – N° 247/2015, pp.11-25.
Les routines que créent les membres d’une équipe au contact les uns des autres ont une influence ambigüe sur la performance : elles la favorisent, par exemple en permettant de gagner un temps précieux ; mais elles peuvent aussi la limiter en restreignant les capacités d’innovation. Caroline Sargis-Roussel et ses co-auteurs expliquent leur émergence et leur influence en prenant en compte la nature des relations entre individus, leur degré de confiance réciproque et leurs connaissances et expériences communes, entre autres variables. Ils illustrent leurs propos avec l’exemple de l’équipe de France masculine de Handball, qui fait preuve d’un succès et d’un palmarès inégalés depuis vingt ans.
Biographie
Caroline Sargis-Roussel est Directeur du Développement Académique et de la Qualité de l’IÉSEG School of Management où elle enseigne le contrôle de gestion. Diplômée de l’ICN, elle est Docteur en Sciences de Gestion, titulaire du DESCF et d’une Habilitation à Diriger des Recherches. Ses thèmes de recherche portent sur la gestion et l’intégration des connaissances, les approches ‘pratiques’ de la stratégie ainsi que les outils de pilotage de la performance.
Méthodologie
Cécile Belmondo, François Deltour et Caroline Sargis-Roussel définissent un modèle intégrateur qui rend compte des liens entre le capital social des équipes, l’émergence des routines de travail et la performance des équipes. Le capital social est appréhendé à travers trois dimensions : l’intensité des relations au sein de l’équipe et le rôle du leader (dimension structurelle), le langage et la vision partagés (dimension cognitive), et le degré de confiance, d’identification et de réciprocité (dimension relationnelle). Pour illustrer leurs propositions théoriques, les chercheurs prennent l’exemple du fonctionnement interne et de l’organisation de l’équipe de France masculine de handball entre 1995 et 2015.
En 20 ans, entre 1995 et 2015, l’équipe de France masculine de handball a été deux fois championne d’Europe, deux fois championne olympique et cinq fois championne du monde. Des performances répétées si rares dans le contexte des sports collectifs que certains ont vu dans la méthode de management de l’équipe un modèle de « performance durable » qui pourrait être source d’inspiration pour le monde de l’entreprise. Cécile Belmondo, François Deltour et Caroline Sargis-Roussel ont cherché à le comprendre en étudiant l’émergence des routines de travail.
La routine, bonne ou mauvaise pour la performance ?
« Une routine de travail, ce n’est pas seulement une procédure, explique Caroline Sargis-Roussel : elle n’est d’ailleurs pas forcément conçue de manière délibérée ».
Au-delà de la formalisation (ce que les personnes font) qui n’existe pas toujours, la routine inclut des dimensions informelles, à travers le sens que nous donnons à nos actions et à celles des autres ou en intériorisant la manière selon laquelle l’action devrait être faite. Une routine n’émerge jamais de la même manière d’une équipe à une autre, parce qu’elle dépend de trois dimensions que Caroline Sargis-Roussel et ses co-auteurs regroupent sous le vocable de capital social :
• L’intensité des relations au sein de l’équipe et le rôle du leader (dimension structurelle du capital social)
• La vision et le langage partagés (dimension cognitive)
• Le degré de confiance, d’identification et de réciprocité (dimension relationnelle).
« C’est à partir de ces trois dimensions du capital social qu’il est possible de comprendre l’émergence des routines et le rôle ambigu qu’elles peuvent avoir sur la performance puis de définir le stade à partir duquel les routines l’augmentent ou la diminuent », analyse Caroline Sargis-Roussel. Car si elles permettent de gagner en temps et en efficacité, les routines créent aussi, quand elles prennent trop de poids, de l’inertie dans la mesure où les équipes risquent de continuer à utiliser une routine qui n’est plus adaptée et sauront alors moins faire face à l’imprévu ou seront moins en recherche de solutions innovantes.
Bien doser les paramètres informels pour optimiser la performance
Il est donc intéressant de trouver les leviers qui vont générer suffisamment de capital social et de routines – mais pas trop – pour maximiser la performance. Dans le cadre de l’équipe de France, ce n’est pas la durée, mais la fréquence et la régularité des interactions des membres de l’équipe de France de handball (ils passent l’année chacun dans leur club) qui permet de les fédérer, de développer une mémoire commune et un savoir-faire implicite, explique par exemple l’entraîneur de l’équipe.
Si le lien entre les personnes est trop faible, si elles ne partagent pas la même vision, si elles ne possèdent pas suffisamment d’éléments d’identification en commun, si elles n’ont pas suffisamment confiance les unes dans les autres, elles mettent bien plus de temps à coopérer et peuvent même ne pas y parvenir. Elles ont besoin de références, d’éléments de langage commun, d’une expérience partagée et d’une vision commune de l’objectif à atteindre pour être performantes. Mais si ce lien est trop fort, si les équipes font aveuglément confiance à leur leader, ou si leur fonctionnement est trop bien rôdé, elles risquent de ne pas se remettre en question au moment où il le faudrait. Trop centrées sur elles-mêmes, elles peuvent également ne pas voir que leur environnement a changé.
Développer la performance d’une équipe en favorisant l’émergence de routines
En vingt ans, seuls deux entraineurs se sont succédé à la tête de l’équipe de France masculine de handball et si la composition de l’équipe a forcément évolué, les changements ont été faits progressivement, un joueur après l’autre. En outre, les sélectionneurs ont moins recherché des individus hyper-talentueux que des personnes capables de constituer, ensemble, un collectif fort. Une décision logique dans ce sport composé de séquences très courtes et basé sur la capacité à mettre en œuvre des routines et des combinaisons techniques.
Une telle stratégie peut se révéler tout à fait appropriée en entreprises. Comme la relation entre le capital social, les routines et la performance est curvilinéaire (en forme de U inversé), les managers ont tout intérêt à gérer la composition de leurs équipes en jouant sur un ou plusieurs des paramètres déjà évoqués : le langage commun, l’intensité des relations, la place du leader, la confiance, l’identification, …de manière à permettre une émergence de routines bien dosée – ni trop lente, ni trop rapide – pour atteindre un niveau de performance plus élevé.
Applications pratiques
Les recruteurs et managers qui créent une équipe commencent généralement par réfléchir aux compétences dont ils ont besoin pour mener leurs projets. Ils ont moins souvent en tête la composition globale de leur équipe, la forme qu’elle va prendre et l’impact des différents paramètres du capital social qui vont pourtant forcement influencer l’émergence de routines et in fine la performance. L’étude de Cécile Belmondo, François Detour et Caroline Sargis-Roussel les invite à adopter une perspective plus globale et dynamique et à utiliser la notion de capital social de l’équipe pour comprendre les enjeux du travail collaboratif.
L’étude montre notamment que l’intérêt bien compris d’un manager n’est pas de maximiser le capital social de son équipe – la fréquence des interactions, les connaissances communes, les liens de confiance – mais au contraire de le moduler selon qu’il souhaite mettre l’accent sur la productivité ou sur la recherche de solutions innovantes. Ainsi, un manager peut avoir intérêt à dégrader le capital social de son équipe – et à recruter des collaborateurs éloignés des habitudes du groupe – si les circonstances l’exigent.