L’activisme de marque dans l’industrie de la beauté, de l’hygiène et du bien-être : entretien avec la lauréate du prix ICOR et son directeur de mémoire
Ces dernières années, de nombreuses entreprises du secteur beauté, hygiène et bien-être se sont engagées dans l’activisme de marque et le soutien à diverses causes sociales ou environnementales. Mais quel est l’impact réel de ces actions sur la perception de la marque par les consommateurs et sur leur intention d’acheter le produit ? Ce sont deux des questions auxquelles Aurélia GORRET (étudiante à l’IÉSEG) a cherché à répondre dans le cadre de son mémoire de master, qui a récemment remporté le prix ICOR. Nous nous sommes entretenus avec Aurélia et son directeur de mémoire, Vassilis DALAKAS**, sur les résultats de cette recherche.
Pouvez-vous expliquer pourquoi et comment vous avez choisi d’étudier ce sujet ? Et pourquoi c’est un sujet si important pour l’industrie de la beauté, de l’hygiène et du bien-être ?
Aurélia : Comme la grande majorité des jeunes femmes de ma génération, j’ai été et je suis toujours témoin des profondes transformations qui façonnent les industries de la beauté, de l’hygiène et du bien-être . Et à ce titre, je suis la cible privilégiée des stratégies marketing de la plupart de ces marques. Au fil des années, j’ai pris conscience de l’attention croissante portée à la diversité de la palette de produits, à leur composition et à l’impact environnemental de ces industries. Passionnée par ce secteur et fascinée par le pouvoir qu’il exerce sur notre vie, je suis également avec attention la manière dont les marques gèrent ces problématiques et deviennent de véritables acteurs sociopolitiques.
Mon mémoire de Master était plus qu’une étape ordinaire dans mon cursus, je voulais en faire un lien fort entre ma vie étudiante et ma vie professionnelle, en espérant qu’un jour je participerais à cette transformation pour une beauté plus inclusive, respectueuse de la diversité, de notre corps et de la planète.
Vassilis : J’avais déjà effectué quelques recherches sur l’activisme de marque, notamment en supervisant deux projets de mémoire de l’IÉSEG sur ce sujet, mais rien de spécifique à l’industrie de la beauté/hygiène. Lorsqu’Aurélia m’a contacté pour me faire part de sa proposition, je me souviens avoir été impressionné par la qualité de sa préparation et de sa réflexion sur le sujet. J’ai été frappé par sa motivation et sa passion pour ce thème, et j’ai donc accepté avec plaisir d’être son tuteur, sachant déjà à l’époque qu’elle ferait un excellent travail dans le cadre de son mémoire.
Personnellement, j’ai été très intrigué par le sujet car, alors que la recherche se concentre de plus en plus sur les comportements des consommateurs à l’égard de la marque elle-même lorsque celle-ci s’engage dans de telles actions, ce projet attire également l’attention sur les effets de l’activisme de marque sur le sujet en lui-même et sur la manière dont les marques peuvent promouvoir leurs efforts d’activisme de marque afin d’avoir réellement un effet positif sur les problématiques sur lesquelles elles se positionnent.
Pouvez-vous résumer les principales conclusions de votre travail ?
Aurélia : Cette recherche a révélé deux résultats majeurs. Premièrement, le niveau d’engagement des entreprises sur des questions sociales telles que l’inclusion et le body positivisme (“body positivism”) joue un rôle important dans l’évaluation de la marque par le consommateur. Il semble y avoir un seuil d’implication ou d’authenticité qui détermine notre attitude mais aussi notre intention d’achat. Les consommateurs exigent désormais des initiatives concrètes qui poussent les marques à investir et à ne pas se contenter d’une simple communication sur ces questions.
Deuxièmement, nous avons remarqué une différence dans la perception des deux thématiques au cœur de cette étude. En ce qui concerne l’inclusivité, une entreprise qui prend une position suffisamment forte en faveur de ce sujet sera mieux perçue par le consommateur et bénéficiera d’une intention d’achat plus élevée. De tels résultats bénéfiques n’ont pas été observés pour les campagnes prônant le body positivisme. Dans l’esprit de certaines personnes, il existe encore un lien très fort entre certains types de corps et un mode de vie néfaste pour la santé (ce qui signifie que les gens n’envisagent pas d’autres causes potentielles de surpoids). Il en résulte une différence de perception entre l’inclusivité et le body positivisme .
Pouvez-vous expliquer en quoi ce travail peut être utile aux managers de ce secteur ?
Aurélia : Le fait de travailler dans ce secteur depuis maintenant près d’un an et demi (notamment dans le cadre de mes stages) m’a convaincue encore davantage de la nécessité pour toutes les parties prenantes non seulement de s’intéresser à ces questions, mais aussi d’apprendre à les traiter et à communiquer à leur sujet de la manière la plus claire et la plus efficace possible.
La validité de cette recherche est renforcée par l’omniprésence des questions sociales et environnementales, non seulement dans l’industrie cosmétique, mais dans tous les secteurs d’activité. Pour que les entreprises ne soient pas lésées par leur propre position ou simplement perdues dans la foule des messages sur la responsabilité sociale des entreprises, elles doivent faire un effort sincère symbolisé par des investissements concrets et significatifs. De manière plus concrète, il peut être intéressant pour certaines entreprises de se rapprocher d’entités de référence sur les sujets abordés, telles que des organisations à but non lucratif, des figures militantes ou des institutions scientifiques. Cette approche globale et sincère permettra à ce type de collaboration de préciser les éléments de langage liés à la cause défendue tout en mettant en avant une cause, des revendications et des parties prenantes.
Vassilis: Étant donné que les entreprises s’engagent de plus en plus dans l’activisme de marque et le soutien aux grandes causes, ce travail présente d’importantes possibilités d’application pratique. Il convient de noter que le soutien d’une marque à une cause peut ne pas être universellement accepté par les consommateurs comme quelque chose de positif, car ces questions peuvent parfois être source de discorde. Les résultats du travail d’Aurélia ont mis en évidence cette réalité, ce qui rend particulièrement important pour les managers de reconnaître qu’ils ont besoin de comprendre ce que ressent leur marché cible par rapport aux enjeux spécifiques qu’ils envisagent de soutenir, au lieu de supposer que tous les soutiens seront perçus de manière également positive. Il est aussi important de reconnaître que le soutien d’une marque à ces questions peut contribuer à la sensibilisation ou au soutien de la cause sans nécessairement aider directement la marque. Pour les marques qui se soucient réellement de ces questions, il s’agit là d’un élément pratique important à garder à l’esprit.
*« Brand Activism in the Beauty and Personal care Industry : Intersectional perspectives on inclusivity and body positivism » (supervisé par Vassilis DALAKAS ).
**Vassilis DALAKAS est professeur invité (visiting professor) à l’IÉSEG et professeur de marketing à la California State University San Marcos.