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« Lorsqu’on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télé, on la baisse ». Bien avant l’avènement des plateformes vidéo, Jean-Luc Godard évoquait déjà l’expérience sociale que constitue une projection de film dans une salle obscure. Depuis, beaucoup de choses ont changé, à commencer par le nombre de sorties hebdomadaires. Comment tirer son épingle du jeu dans cet océan de contenus ? Face à Netflix, le cinéma a-t-il vraiment dit son dernier mot ? Les réponses d’Arnaud BRÉBION (diplômé du Programme Grande École en 2016), Responsable du Pôle Création chez Pathé Films, qui rappelle que le 7e art est avant tout une industrie. Plongeons avec lui dans ses coulisses…
Avez-vous intégré l’IÉSEG avec l’envie de travailler dans le monde du cinéma ?
J’ai toujours eu une fibre artistique prononcée et la certitude que j’allais allier ma formation en école de commerce avec une industrie créative. La musique était mon premier choix, mais elle est tellement sacrée à mes yeux que je ne me voyais pas l’associer à un « business ». Je parvenais à avoir plus de recul avec le milieu du cinéma, ma seconde passion. C’est en voyant pour la première fois “Elephant Man” de David Lynch que j’ai compris que le 7e art était plus qu’un divertissement : un art qui pouvait toucher et dans lequel je souhaitais apporter mes compétences et mes idées.
Que faut-il retenir à propos de Pathé Films que vous avez rejoint fin 2023 ?
Pathé Films est la filiale de distribution de films du groupe Pathé (2 600 salariés dans 6 pays, un milliard de chiffre d’affaires) dont les cinémas représentent plus d’1/4 des entrées en France. Avec 12 sorties en 2023 et tout autant en 2024, nous sommes sur une approche ambitieuse et davantage qualitative que quantitative. Dans ce contexte, mon rôle est d’établir le positionnement marketing de nos films, en lien avec la direction marketing, puis de superviser la création du matériel promotionnel qui reflétera au mieux ce positionnement. Nous distinguons deux leviers : la notoriété et l’envie. La suite d’un long-métrage célèbre aura plus de notoriété naturelle, tandis qu’un film avec Tom Cruise suscitera par défaut plus d’envie qu’un autre. Mais ce n’est pas suffisant pour en faire un succès. C’est dans cette démarche que j’interviens, notamment à travers la supervision de l’affiche et de la bande-annonce.
Quels sont selon vous les fondamentaux d’une bonne affiche et d’une bande-annonce efficace ?
Il n’existe pas de formule magique, mais des codes qui permettent de rassurer le spectateur. Il faut rappeler qu’une majorité de Français ne va au cinéma qu’une fois par an. Pour justifier le temps pris, le déplacement, le prix du billet, la nounou, etc., il ne faut pas hésiter à le prendre par la main et lui donner un aperçu de ce qu’il va voir… quitte à ce que l’on nous reproche de « tout montrer dans la bande-annonce ». Elle doit refléter le positionnement du film et va de pair avec l’affiche : cette dernière doit intriguer et poser une question, tandis que la bande-annonce doit dans une certaine mesure y répondre. Dans tous les cas, rien ne vaut une vidéo pour vendre une expérience cinématographique.
Comment travaillez-vous avec les équipes qui gèrent la partie amont des longs-métrages que vous distribuez ?
En tant que distributeur, lorsque nous sommes certains de la qualité et de la pertinence de notre matériel promotionnel, nous devons convaincre les parties prenantes (producteurs et réalisateurs). Des désaccords peuvent survenir ; s’en suit alors une partie de ping-pong où chacun apporte ses idées. Elles sont parfois prises en compte pour améliorer l’existant. Le rapport de force existe et dépend de l’investissement financier de chacun mais aussi d’une part de politique. Si notre souhait, à long-terme, est de fidéliser un réalisateur à succès, nous aurons davantage envie de prendre en considération sa vision…
Comment s’articule le travail de création dont vous avez la charge ?
Pour réaliser notre matériel promotionnel, nous travaillons en lien étroit avec des agences extérieures avec lesquelles nous avons l’habitude de collaborer et avec les équipes de post-production des longs-métrages que nous distribuons. Musiques, extraits de film, photos… rien n’est laissé au hasard et chaque choix répond à une stratégie clairement définie en amont. Je me sens chanceux de travailler avec des personnes passionnées et créatives qui font de leur mieux pour qu’une oeuvre d’art – qui est aussi un produit marketing – puisse trouver son public. À moyen-terme, je délaisserai sans doute la responsabilité créative pour occuper des postes à vision plus « big picture », mais toujours au service du « big screen » !
Quelles promotions de films vous ont particulièrement marquées et lesquels attendez-vous avec le plus d’impatience ?
Je retiens notamment la promotion de « Lego Batman, le Film » pour la contextualisation et l’emplacement. Nous avons choisi une multitude de formats différents, moins coûteux mais plus nombreux (rames de métro, terrasses de café, etc.) pour que personne ne puisse passer à côté. Ensuite « Dunkerque » pour l’aspect contenu. Nous avons compris que la frustration était l’une des thématiques du film et qu’il fallait en jouer dans la bande-annonce. Dès qu’elle se lançait, un compte à rebours débutait et l’écran se fermait progressivement. Enfin, « Kaamelott, premier volet » pour l’approche événementielle, à travers des avant-premières partout en France. Je n’ai jamais vu une file d’attente aussi longue devant le Grand Rex. Pour 2024, j’ai hâte que le public puisse découvrir « Monsieur Aznavour », mais aussi « le Comte de Monte-Cristo », notre sortie la plus importante de l’année. Nous espérons un grand succès populaire pour cette fresque romanesque sur ce personnage devenu légendaire.
Pourquoi les salles obscures n’ont pas dit leur dernier mot face à Netflix ?
Nous avons tous le souvenir d’une salle de cinéma, pleine à craquer, qui rit ou frémit à l’unisson : le cinéma est et restera une expérience sociale qui réunit des inconnus prêts à partager des émotions. On sort de son quotidien, on coupe son téléphone, on vit en quelque sorte une autre vie… C’est une sorte de cérémonial qu’aucun écran de télévision ne pourra jamais remplacer.
Que conseillez-vous aux diplômés intéressés par l’industrie du cinéma en général et par la distribution de films en particulier ?
Allez le plus possible dans les salles obscures ! Pas forcément pour l’aspect culturel, mais pour appréhender le business qui entoure la projection d’un film. Posez-vous ensuite une question essentielle : souhaitez-vous vraiment travailler dans une industrie où le produit vendu est une expérience ou bien aimez-vous surtout ce milieu pour les émotions qu’il procure ? Si la partie artistique est votre motivation, vous risquez d’être déçu par l’approche « mercantile » qui reste le fondement d’une société de distribution. C’est d’ailleurs là où la formation IÉSEG a pris tout son sens pour moi puisqu’elle m’a permis de comprendre les rouages du fonctionnement d’une entreprise et de faire des choix rationnels. Et si après réflexion, vous souhaitez toujours suivre mes pas, je vous recommande la lecture du livre « Le Marketing du Cinéma », de Jean-François CAMILLERI et Xavier ALBERT, considéré comme une véritable bible dans le milieu. Il ne me reste plus qu’à vous dire : « Moteur et action ! ».
Parcours
En 4e année à l’IÉSEG, Arnaud vit une épreuve personnelle qui l’amène à sortir de sa zone de confort : il postule dans le secteur du divertissement et fait ses premières armes chez Universal Pictures, puis Warner Bros en tant que chef de projet.
Après un passage chez SND, il rejoint Pathé Films où il est aujourd’hui Responsable Création.