Comment l’identité nationale et le pays d’origine influencent le choix des consommateurs
D’après un entretien avec Katharina Zeugner-Roth et son étude « Disentangling country-of-origin effects: the interplay of product ethnicity, national identity, and consumer ethnocentrism », coécrit avec Peter Fischer (Marketing Letters, 2017).
Cette étude se penche sur les liens entre pays d’origine des produits et sentiment d’appartenance nationale des consommateurs. Elle montre que plus le sentiment d’appartenance nationale est fort, plus nous sommes enclins à acheter des produits de notre pays. Dans certains cas, ce comportement peut même flirter avec l’irrationnel et nous amener à acheter des produits de qualité inférieure au seul motif qu’ils proviennent de notre pays d’origine.
Biographie
Katharina Zeugner-Roth est professeure associée de marketing à l’IÉSEG School of Management. Elle est titulaire d’un doctorat en management de l’Université de Vienne. Elle a ensuite été professeure invitée à la George Washington University aux États-Unis, avant d’enseigner à la Vlerick Leuven Gent Management School à Louvain en Belgique. Ses travaux de recherche portent sur l’influence du pays d’origine, le comportement éthique des consommateurs, les stratégies de branding au niveau global et le marketing international.
Méthodologie
Katharina Zeugner-Roth et Peter Fischer ont réalisé deux expériences. En Belgique, 95 ressortissants nationaux ont été interrogés sur leurs préférences d’achat entre des fromages fabriqués dans leur pays d’origine, en France et en Espagne. Aux États-Unis, 82 personnes ont participé à une étude dont le scénario portait sur un jeu-concours avec à la clé la location de voitures fabriquées aux États-Unis, au Japon et en Corée du Sud. Dans les deux expériences, les participants ont également évalué, sur une échelle de 1 à 7, leur sentiment d’appartenance nationale et leur ethnocentrisme en tant que consommateurs. Les deux chercheurs ont constaté que la perception de supériorité ou d’infériorité du produit étranger par rapport à l’alternative nationale (i.e., l’ethnicité du produit) contrebalance l’impact de la préférence nationale, mais pas de l’ethnocentrisme du consommateur.
Les consommateurs se laissent guider dans leurs choix par le pays d’origine des produits. C’est un fait avéré. Mais quels mécanismes sont exactement à l’œuvre derrière la sélection finale d’un produit ? Si la réputation que se sont forgés certains pays autour de tels ou tels produits peut influencer nos décisions d’achat, nous éprouvons également en tant que consommateur une sorte de préférence pour notre pays qui peut nous pousser à acheter national. Katharina Zeugner-Roth s’est intéressée aux éléments qui dictent ces décisions d’achat pour aider les entreprises étrangères à choisir la meilleure stratégie commerciale pour aborder de nouveaux marchés.
Ethnicité des produits et appartenance nationale des consommateurs
« Le choix peut être orienté lorsqu’un territoire est fortement associé à un produit, comme la Suisse avec les montres ou la France avec le vin. On dit alors qu’il se dégage une forte ethnicité de ces produits, explique Katharina Zeugner-Roth. Toutefois, dans un contexte étranger, cette réputation peut nuire à ces produits. Certains consommateurs, ethnocentriques, ressentent en effet comme une obligation morale d’acheter des produits nationaux, même si la qualité est moindre. D’autres ‘achètent local’ simplement pour soutenir leur pays. Les recherches en psychologie révèlent de fait que la plupart des êtres humains ressentent un attachement positif à leur pays d’origine. La force de ce sentiment peut influer sur la rationalité de leur choix en tant que consommateurs. »
Fromage belge et voitures américaines : des choix ethnocentriques irrationnels
Pour comprendre plus précisément les interactions entre l’ethnicité des produits, l’ethnocentrisme des consommateurs et le sentiment d’appartenance nationale, Katharina Zeugner-Roth et Peter Fischer ont mené deux expériences. Dans la première, ils ont demandé à des ressortissants belges d’indiquer quel fromage ils préféreraient acheter : belge, français ou espagnol. Le fromage français était perçu par le panel comme plus qualitatif que le belge et le fromage espagnol comme le moins bon. Dans la seconde expérience, les chercheurs ont interrogé des citoyens américains sur leurs préférences dans un scénario de location de voitures : américaines, japonaises ou sud-coréennes. Dans ce cas, les voitures japonaises étaient perçues comme supérieures aux américaines, tandis que les voitures sud-coréennes arrivaient en fin de classement. Dans les deux expériences, les choix des répondants ont été analysés au regard de leur sentiment d’appartenance nationale et de leur ethnocentrisme. Les chercheurs ont alors constaté que les consommateurs ethnocentriques ne se souciaient guère de l’origine d’un produit étranger ou de sa réputation. Ils achètent systématiquement des produits nationaux, même si la qualité est moindre. « L’ethnicité d’un produit n’a pas d’influence sur le consommateur ethnocentrique, qui peut être amené à faire des choix irrationnels. », explique Katharina Zeugner-Roth.
Comment l’identité nationale peut influencer le consommateur dans ses choix
En revanche, les personnes dotées d’un fort sentiment d’appartenance nationale peuvent être influencées par l’ethnicité d’un produit. « Lorsque l’ethnicité d’un produit est faible, que la réputation d’un pays étranger est moins solidement établie que celle du pays d’origine, comme on le voit avec le fromage espagnol et les voitures sud-coréennes, les consommateurs achètent tout simplement la meilleure alternative, explique Katharina Zeugner-Roth. Ils ne sont dans ce cas pas influencés par leur appartenance nationale. Lorsqu’au contraire l’ethnicité d’un produit est forte, qu’un pays étranger a une meilleure réputation que le pays d’origine pour les produits considérés (ici le fromage français et les voitures japonaises), on observe que l’identité nationale dicte le comportement d’achat. Les consommateurs animés par un sentiment national plus profond perçoivent les produits étrangers comme une menace potentielle, peu importe leur réputation par rapport à celle de leur pays ».
« On observe des similitudes avec ce phénomène d’ethnocentrisme dans le paysage politique. À travers sa campagne ‘America First’, dont les principes sont repris dans d’autres pays à travers le monde, le président américain Donald Trump encourage la population à acheter les produits nationaux, conclut Katharina Zeugner-Roth. Peu importe leur qualité, les produits étrangers sont diabolisés comme une menace pour l’économie nationale. »
Applications pratiques
Les entreprises étrangères implantées sur des marchés dont les produits ont une bonne réputation doivent mettre en avant cet aspect avec beaucoup de précautions lorsqu’elles pénètrent de nouveaux marchés, souligne Katharina Zeugner-Roth. L’identité nationale est généralement un sentiment très fort dans la majorité des pays, donc suggérer qu’un produit étranger puisse être supérieur risque bien de réfréner les envies d’achats de nombreux consommateurs dans ces pays. Notre étude révèle aussi que les constructeurs automobiles français, par exemple, se heurteront à une résistance beaucoup moins forte sur les marchés étrangers par rapport à leurs concurrents allemands. Paradoxalement, ils jouissent d’un avantage concurrentiel imputable à la plus faible ethnicité de leurs produits ». Katharina Zeugner-Roth étudie actuellement comment une publicité ciblée pourrait aider à convaincre les consommateurs animés par un solide sentiment d’appartenance nationale d’acheter des produits étrangers. « Ce qui prime, c’est que le message publicitaire ne menace pas l’attachement du consommateur à son pays d’origine », précise-t-elle.
“Disentangling country-of-origin effects: the interplay of product ethnicity, national identity, and consumer ethnocentrism,” de Katharina P. Zeugner-Roth (IÉSEG, LEM) et Peter M. Fischer (HSG), 2017.