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Le dilemme de la mode durable : comprendre l’attitude de la génération Z à l’égard de la ‘fast’ et ‘slow fashion’

La génération Z est largement reconnue pour son engagement en faveur de l’environnement et du développement durable. En même temps, ils sont de grands consommateurs de fast fashion et sont attirés par des marques telles que Shein. Qu’est-ce qui explique ce paradoxe entre l’engagement de cette génération en faveur du développement durable et son comportement d’achat ? Et quelles sont les relations entre leurs valeurs, leurs attitudes et la consommation de mode durable ? Ce ne sont là que deux des questions auxquelles Julia VANLERBERGHE a cherché à répondre dans le cadre de son mémoire*, qui a récemment remporté le Prix ICOR du meilleur mémoire étudiant. Nous nous sommes entretenus avec Julia VANLERBERGHE et sa directrice de mémoire, María D. DE-JUAN-VIGARAY ** sur les résultats de cette recherche.

Julia VANLERBERGHE, pourquoi et comment avez-vous choisi d’étudier ce sujet ? Pourquoi est-ce un sujet si important pour l’industrie de la mode ?

Julia VANLERBERGHE : Faisant partie de la Génération Z, passionnée de mode et très sensible aux enjeux environnementaux, je me suis sentie particulièrement concernée par ces dilemmes éthiques de consommation. Je sais à quel point il peut être tentant de céder aux prix plus qu’attractifs proposé par les enseignes de fast fashion et pourtant nous sommes désormais conscients de l’envers du décor de cette industrie.
J’ai voulu comprendre ce qui expliquait (au delà de l’aspect économique) l’écart entre les convictions et revendications écologiques des jeunes et leurs choix de consommation en matière de mode, souvent portés sur la fast fashion voire l’ultra fast fashion avec l’enseigne chinoise Shein par exemple.
C’est d’ailleurs un sujet qui se trouve au cœur de l’actualité : la fast fashion est plus que jamais représentée et mise en avant sur les réseaux sociaux. Pourtant, les consciences semblent s’éveiller avec l’apparition des propositions de loi visant à limiter la consommation de « mode jetable ».
Le choix de ce sujet était pour moi un moyen de relier mon domaine d’études avec le sens que je veux donner à ma carrière : avoir un impact positif sur la société et l’environnement.

María D. DE-JUAN-VIGARAY : En 2007, un étudiant espagnol m’a proposé comme sujet de vendre des voitures miniatures Hot Wheels via une plateforme espagnole (Wallapop). J’ai dû comprendre le fonctionnement de son idée pour pouvoir le superviser. Depuis lors, je suis membre actif de Wallapop et Vinted et j’ai dirigé plusieurs travaux en Espagne et en France sur cette ligne de recherche.
La proposition controversée soulevée par Julia VANLERBERGHE était aussi vraie que stimulante. Sa motivation et sa persistance à essayer de trouver le meilleur modèle pour expliquer ce qu’elle ressentait étaient louables.C’est pourquoi ce fut un plaisir de superviser Julia et de progresser avec elle dans son apprentissage, qui fut aussi le mien. La paradoxe est présente et il est difficile pour les jeunes de décider s’ils doivent être durables ou accéder à la mode amusante, rapide et à très bas prix. Nous travaillons avec la mode rapide. Il reste à voir ce qu’il en est de la mode ultra rapide.

Pouvez-vous résumer les principales conclusions de votre travail ?

Julia V. : Pour ce mémoire, j’ai réalisé une étude quantitative au sein de la Gen Z visant à mesurer l’impact positif ou négatif des valeurs, des attitudes et de quatre autres facteurs sur la consommation de mode durable.
Les résultats de cette étude ont permis de confirmer l’importance des attitudes comme prédicteur de comportement mais elles ne justifient pas entièrement le passage à l’action. Cette étude a permis d’identifier 3 facteurs pouvant expliquer ce « gap ». Premièrement, l’importance du style pour un individu impacte négativement sa consommation de mode durable. Deuxièmement, un individu sensible à la norme subjective (pression sociale de ses pairs) aura tendance à consommer plus durablement. Troisièmement, l’auto-efficacité perçue aura également un impact positif, c’est à dire que plus un individu se considérera capable d’avoir un impact significatif sur l’environnement ou la société via sa consommation de mode durable, plus il agira en ce sens.
Étonnement, l’étude révèle que les valeurs liées à l’hédonisme influencent positivement une consommation durable. Il semble alors que la Gen Z réussisse à envisager un mode de vie plus durable sans sacrifier leur « plaisir ».

En quoi votre mémoire de recherche pourrait-il avoir des applications pour les managers travaillant dans ce secteur ?

Julia V. : Les résultats de ce mémoire et les recommandations managériales qui en sont issues permettent 2 choses. Premièrement, apporter des éléments de compréhension sur la « Gen Z » via la collecte de données quantitatives, permettant d’identifier des tendances et de mieux cerner cette nouvelle population de consommateurs.
Cette connaissance permet ensuite d’établir des recommandations Marketing à destination des entreprises inscrites dans une démarche durable pour faire passer les bons messages aux bonnes personnes afin d’avancer efficacement dans la transformation de l’industrie, mais aussi à destination des entreprises de fast fashion qui vont devoir s’adapter à cette partie de la clientèle.
Ces résultats permettent de savoir quels sont les éléments à stimuler et challenger pour faire bouger les comportements des consommateurs. On sait qu’on peut pousser un individu à agir en le convainquant que son action aura un impact et du poids, par exemple en communiquant de manière crédible et tangible sur les litres d’eau sauvés par son action (Vinted le fait déjà). On sait également que les valeurs d’hédonisme, valeurs du plaisir dites « égoïstes » sont conciliables avec une consommation durable, il faut alors ne pas stimuler seulement la culpabilité ou l’altruisme mais aussi associer la durabilité avec ses gains pour l’individu : sur la santé en limitant les perturbateurs endocriniens, sur le budget, ou encore se sentir libéré des dictats de la mode en pouvant exprimer son unicité.
Il faut savoir parler à tous les profils et toutes les sensibilités pour continuer d’avancer vers une industrie de la mode plus éthique.

María D. : Ce travail offre une compréhension approfondie de la Génération Z et propose des recommandations marketing à la fois pour les entreprises engagées dans la durabilité et pour celles de la mode rapide. Il souligne l’importance de communiquer les impacts positifs des actions et d’associer la durabilité à des bénéfices individuels tels que la santé et l’expression de l’unicité, afin d’influencer les comportements des consommateurs vers une industrie de la mode plus éthique.
Il est nécessaire de comprendre de première main ce qui se passe dans l’esprit des jeunes, car ils sont l’avenir de l’économie et aussi de la planète Terre, dont nous n’avons qu’une seule!

* “Understanding Gen Z’s slow fashion consumption: A value-attitude-behavior approach”, supervisé par María D. DE-JUAN-VIGARAY

** María D. DE-JUAN-VIGARAY est professeur invité (visiting profesor) à l’IÉSEG et Professeur à l’Universidad de Alicante

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