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[Histoire de Diplômé] Michael CODRON : chez Bridgestone, l’homme qui tombe à pic

53 : c’est le nombre impressionnant de pays traversés par Michael CODRON (diplômé du Programme Grande École en 1995) en 26 ans de carrière chez Bridgestone, dont dix à redresser les filiales en difficulté du Groupe. Le dernier défi proposé par son employeur avait tout pour lui plaire : changer de continent en prenant la présidence de Bridgestone Aircraft Tire USA. Alors, ça plane pour lui ?

Michael CODRON, vous avez effectué l’intégralité de votre carrière au sein de Bridgestone. Est-ce en raison de sa dimension internationale ?

En effet. J’ai toujours adoré les voyages, le choc culturel que l’on ressent en arrivant dans un nouveau pays, l’apprentissage des us et coutumes. C’est tellement riche et excitant, à condition de bien se renseigner en amont pour éviter les impairs. Par exemple, au Japon, il est impoli de se moucher en public alors qu’il n’est pas rare que l’on se passe le crachoir en salle de réunion lors de négociations avec des clients chinois. Parcourir le monde est l’occasion de prendre du recul sur ses propres habitudes qui peuvent sembler étranges dans d’autres contrées, d’apprendre à respecter les différences : c’est une merveilleuse école de la vie. Dès ma sortie de l’IÉSEG, j’ai souhaité intégrer une entreprise à dimension internationale : l’annonce de Bridgestone pour un poste de Corporate Auditor – qui me permettait de me rendre dans les filiales européennes en compagnie de collègues japonais – est tombée à point nommé.

Ces dix dernières années, vous vous êtes spécialisé dans le redressement de filiales du groupe. Qu’est-ce qui vous a mené vers ce type de mission ?

Comme souvent, j’ai saisi avec gourmandise une perche que l’on m’a tendue. J’étais Directeur Financier pour la filiale française et notre branche de pneumatiques poids lourds perdait de l’argent. Mon Directeur Général en avait assez de m’entendre pester à propos de nos piètres performances et m’a proposé de mener les négociations moi-même en me nommant Directeur Commercial pour cette activité. J’ai immédiatement été séduit par cet aspect du business car lors d’une rencontre avec un client, on sait rapidement si l’on a été convaincant ou non, contrairement aux aspects juridiques ou financiers qui s’étalent sur du plus long terme. J’ai pu redresser la branche en quelques mois et j’ai fini par être promu à la tête de la Business-Unit pour l’Europe.

D’où vient votre goût pour ce type de défi ?

Plus la situation initiale semble désespérée, plus je prends de plaisir ! J’aime le concret et la possibilité de mettre en place une stratégie cohérente en emmenant les équipes avec moi. C’est une aventure humaine aussi excitante que gratifiante. Cela ressemble à un grand ménage de printemps dans son grenier : tout est recouvert de poussière, mais les coups de balai successifs laissent progressivement apparaître des trésors parfois insoupçonnés qui nous tendent les bras…

Vous avez permis à plusieurs filiales de repasser dans le vert. Quelle est la « méthode Michael CODRON » ?

La phase de diagnostic est primordiale et me prend en général trois mois. Elle se décompose en trois étapes successives. D’abord, l’analyse des données (financières, de production, etc.), qui ne pose pas de problème lorsque l’on sort de l’IÉSEG. Ensuite, la voix des clients : j’en rencontre un maximum pour prendre le pouls, comprendre leurs attentes, appréhender l’historique des relations. Enfin, la voix des équipes : une étape que j’apprécie particulièrement et qui m’apprend beaucoup. Je viens avec des pizzas et nous nous installons par groupe de dix autour d’une table pour discuter librement de ce qui va ou non dans la société.

Et ensuite ?

Je synthétise les résultats et les partage avec l’équipe de management. C’est là que nous imaginons ensemble l’entreprise dans laquelle nous souhaitons travailler, ce que nous aimerions que les clients disent de nous et de nos priorités stratégiques. Je les communique ensuite à l’ensemble des salariés lors de séances de « Town Hall » qui permettent à chacun de s’exprimer et d’apporter sa pierre à l’édifice. On n’imagine pas à quel point les collaborateurs peuvent déborder d’énergie et de motivation lorsqu’on leur donne la possibilité de contribuer à la vie et au succès de leur société.

Comme beaucoup d’entreprises, Bridgestone a subi de plein fouet la période Covid. Comment l’avez-vous personnellement vécue ?

Trois ans plus tôt, le Groupe m’a proposé de reprendre la filiale qui commercialise les pneus d’avion pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, avec une usine en Belgique. La filiale était dans une situation très compliquée, mais avec un potentiel de développement inouï : le marché de l’aviation commerciale doublait tous les vingt ans et aucune crise, qu’elle soit financière ou politique, n’avait jusqu’à présent eu d’impact sur cette croissance.

En mars 2020, le monde s’est arrêté et le transport aérien entrait alors dans la pire crise de son histoire. Mon chiffre d’affaires s’est effondré, mes clients étaient à l’arrêt et nous n’avions aucune idée sur le délai d’un éventuel retour à la normale. Je dormais cinq heures par nuit et souhaitais tout faire pour préserver les emplois : nous sommes parvenus à un plan qui permettait de conserver 90% des effectifs, à condition que tout le monde se mette au chômage temporaire, même les cadres dirigeants.

Le fait d’économiser sur les plus hauts salaires, mais surtout que l’ensemble des collaborateurs soit logé à la même enseigne nous a permis de sortir la tête haute de cette épreuve collective. Le pari était risqué, mais lorsque les affaires ont repris en 2022, nous avons pu redémarrer plus rapidement que nos concurrents qui avaient choisi de couper dans la masse salariale.

2023 a marqué un autre tournant dans votre carrière avec un changement de poste… et de continent. Quel a été le déclencheur ?

Une fois qu’une filiale est redressée et que les performances sont solides, j’ai tendance à m’ennuyer. J’avais débuté les discussions avec mon management japonais ; notre business de pneus d’avion aux Etats-Unis était le plus en difficulté. Nous avons donc envisagé un transfert en 2024/2025, ce qui me laissait le temps de questionner mon entourage, à commencer par mon épouse. Finalement le CEO de la zone Amérique a jeté l’éponge en juin 2023 et il a fallu accélérer les démarches. L’enthousiasme de ma femme et de ma plus jeune fille m’a vraiment encouragé à sauter le pas.

Comment se sont déroulées vos premières semaines sur place ?

Nous sommes arrivés à trois à Greensboro (Caroline du Nord), un peu fébriles, et avons entamé les démarches pour inscrire notre fille à l’école, trouver une maison, ouvrir un compte en banque. Nous avons même dû repasser notre permis de conduire ! L’accompagnement et les conseils de Bridgestone nous ont aidés à appréhender chacune de ces étapes avec sérénité et dans le bon ordre ! Les premières semaines ont été intenses, nous étions logés dans un Airbnb, le temps que nos meubles arrivent en bateau. Une fois la maison choisie et le mobilier livré, la pression est retombée, on a pu commencé à se projeter.

La première chose qui frappe en arrivant, c’est que tout le monde est accueillant et propose de l’aide, ne serait-ce qu’à l’école qui fait tout pour intégrer les nouveaux arrivants et leurs parents, notamment expatriés. Des « donuts parties » permettent de se créer un premier cercle de connaissances et de partager les petits tracas du quotidien avec des familles venues du monde entier.

Le mode de vie des Américains semble proche du nôtre, mais les différences sautent rapidement aux yeux : nous étions invités à la fête de Thanksgiving à 18h. En arrivant à 18h45, tout le monde avait presque terminé de manger ! Un autre aspect concerne le mode de déplacement puisque tout ou presque se fait en voiture. Cela a l’air d’être général puisque lorsque des Américains s’apprêtent à passer leurs vacances en Europe, on leur conseille de marcher 20 000 pas par jour le mois qui précède leur arrivée.

Que faut-il retenir à propos de l’entreprise que vous présidez ?

Bridgestone Aircraft Tire USA est une société de 150 personnes qui couvre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. Nos clients principaux sont les compagnies aériennes comme American Airlines, Delta, United, etc. Nous nous connaissons tous par nos prénoms, avec un esprit PME mais la puissance d’un grand groupe. D’un point de vue managérial et culturel, les problématiques de harcèlement et de discrimination sont beaucoup plus poussées ici : on m’a déconseillé de poser des questions sur la famille d’un salarié, de faire un compliment à un(e) collègue sur sa tenue ou sa nouvelle coupe de cheveux, par exemple. Une fois encore, il est important de n’émettre aucun jugement, mais simplement de s’adapter en respectant les coutumes locales.

Comment envisagez-vous l’avenir ?

Cela fait un an que je suis installé et tout se passe bien puisque la société est déjà repassée au vert. Pour autant, il reste un travail de fond à effectuer pour consolider les fondamentaux et enchaîner durablement les bons résultats. Je pense donc rester entre trois et cinq ans. Cela dépendra notamment de l’apparition de nouvelles problématiques dans une autre filiale. J’aimerais enchaîner sur une expérience en Asie, mais j’irai où je serai utile et où ma famille pourra s’épanouir à mes côtés.

Parcours

Dès sa sortie de l’École, Michael effectue un service civil en donnant des cours de gestion aux créateurs d’entreprise, l’occasion de mettre en pratique les enseignements de l’IÉSEG.

Il rentre ensuite chez Bridgestone en tant que Corporate Auditor et change de poste tous les trois ans sur des missions variées : Juriste, Directeur Juridique, Directeur Financier, Directeur Commercial et Directeur de Business Unit.

En 2023, il quitte la France, direction les USA : il est aujourd’hui Président de Bridgestone Aircraft Tire USA.