Start-ups : comment créer une bonne équipe entrepreneuriale ?
D’après un entretien avec Cyrine Ben-Hafaïedh et son article : « La constitution des équipes entrepreneuriales : une quête d’affinités socio-psychologiques et de ressources », à paraître*.
Comment les équipes entrepreneuriales se constituent-elles ? Ni par pure affinité, ni par pur choix économico-stratégique. Leurs créateurs combinent en fait souvent ces deux approches, explique Cyrine Ben-Hafaïedh qui s’interroge sur les leviers permettant de maximiser les chances de réussite des entrepreneurs.
Biographie
Titulaire d’un Doctorat en Entrepreneuriat, Cyrine Ben-Hafaïedh est professeur d’entrepreneuriat et de stratégie à l’IÉSEG. Ses recherches portent sur l’entrepreneuriat collectif, les équipes entrepreneuriales en particulier. Elle est la responsable académique des « Projets de Consulting Innovation » qui permettent à des étudiants d’écoles de commerce et d’ingénieurs de travailler ensemble sur des projets réels d’innovation. Elle dirige également un programme d’entrepreneuriat social dans lequel ses étudiants accompagnent des entrepreneurs sociaux lauréats CRÉENSO dans le cadre d’un mécénat de compétences.
Méthodologie
L’objectif de cette étude est de comprendre comment se constituent les équipes entrepreneuriales. Elle procède par abduction, une méthode permettant de comprendre des phénomènes en combinant des éléments de données empiriques avec de la théorie. Cyrine Ben-Hafaïedh applique un raisonnement abductif à un échantillon de huit équipes entrepreneuriales créatrices d’entreprises ex nihilo.
L’entrepreneuriat n’est pas toujours une affaire solitaire, loin s’en faut. La moitié des entreprises (et une majorité dans le domaine high-tech) est en réalité créée en équipe. Les raisons invoquées, pour expliquer cette volonté d’entreprendre à plusieurs, vont de la supériorité du modèle collectif aux questions de ressources (temps, argent, compétences…), en passant par le besoin de soutien. Et s’il est montré que les entreprises créées à plusieurs croissent plus et créent plus d’emploi que les autres, ces entreprises sont également confrontées à un risque important d’implosion de l’équipe entrepreneuriale, une de leurs premières causes d’échec.
La question de la constitution de ces équipes, qui se distingue de celle des équipes dirigeantes ayant en charge de coordonner et guider des sous-unités sous leur responsabilité et dont la composition n’est pas autodéterminée, est donc cruciale. Une équipe entrepreneuriale tient davantage de l’équipe projet, c’est-à-dire d’un groupe temporaire en charge de l’élaboration et de la réalisation d’un projet spécifique, et a cela de particulier que les membres se choisissent librement.
Le choix des membres de l’équipe : affinités ou compétences ?
Praticiens et chercheurs ont tendance à opposer deux approches en matière de constitution des équipes entrepreneuriales. L’une, socio-psychologique, considère le phénomène comme une affaire interpersonnelle où le porteur de projet choisit des personnes dans son réseau, et s’arrête finalement sur celles qui lui ressemblent, qui partagent ses valeurs. L’autre approche, économico-stratégique, consiste quant à elle à choisir des personnes sur des critères de ressources et de compétences. Dans la réalité, l’étude menée par Cyrine Ben-Hafaïedh montre que les deux approches sont à l’œuvre.
Comme pour n’importe quelle décision complexe, les porteurs de projet mettent en place un processus de décision par étapes : ils font le tour de leurs connaissances, identifient des personnes qui pourraient être intéressées par l’entrepreneuriat, puis les filtrent. Leur choix s’opère donc sur un nombre réduit de personnes qu’ils connaissent et qu’ils sélectionnent d’abord d’après leur propre vision de l’entreprise (développer un projet à revendre dans trois ans ou transmettre l’entreprise à leurs enfants par exemple).
A cette étape, le porteur de projet écoute tous ceux avec lesquels il peut s’entendre et vérifie leur compatibilité en termes de personnalité et de valeurs. Une fois cette première sélection passée, il choisit les personnes qui lui apportent a priori le plus de valeur ajoutée au sens économico-stratégique, c’est à dire celles qui ont « le plus d’utilité fonctionnelle ». Ces étapes ne sont pas forcément consciemment perçues, elles s’opèrent souvent de façon concomitante. Le choix final s’établissant sur un très petit nombre d’individus (ceux que le porteur de projet connaît et auxquels il pense pour créer son entreprise), il mène le plus souvent à l’émergence d’équipes qui n’ont pas une grande diversité fonctionnelle et cognitive. Ceci conduit certains praticiens et chercheurs à juger ce processus irrationnel. Car, même si procéder par affinité, vérifier la compatibilité des valeurs et des envies, contribue à inspirer confiance au porteur de projet et à lui donner le sentiment de sécurité nécessaire pour se lancer dans l’aventure entrepreneuriale, l’équipe ainsi constituée est perçue comme moins performante du point de vue économico-stratégique. Comment y remédier ?
Maximiser les chances de succès d’une équipe entrepreneuriale
Cyrine Ben-Hafaïedh montre que les équipes entrepreneuriales se créent à la fois par affinité et par compétence. Cette prise de décision par étape constitue un facteur de succès de la création de l’équipe, lui fournissant un socle plus solide, mais elle a une faiblesse : en commençant par une recherche par affinité dans son environnement proche, le porteur de projet limite son pool de choix, en termes de diversité fonctionnelle en particulier.
La chercheuse suggère donc, pour maximiser les chances de succès de l’équipe entrepreneuriale, de favoriser le réseautage et toutes les démarches qui permettent d’augmenter le réservoir de co-créateurs potentiels. Lorsque les porteurs de projet sont accompagnés par des professionnels (dans le cadre d’incubateurs par exemple), leurs accompagnateurs pourraient leur présenter de nouvelles personnes (en proposant des opérations de networking par exemple) et leur apporter un soutien au recrutement, en particulier pour les aider à sélectionner et évaluer leurs co-équipiers potentiels sur des fonctions qui ne sont pas les leurs. En revanche, Cyrine Ben-Hafaïedh déconseille aux accompagnateurs de choisir les membres de l’équipe entrepreneuriale à la place du porteur de projet : « ça ne marcherait pas, car le succès de l’entreprise est aussi lié à la compatibilité de ses membres ». L’idéal est de combiner habilement les logiques socio-psychologique et économico-stratégique pour en tirer le maximum d’avantages et minimiser les inconvénients de chaque approche.
Applications pratiques
Le choix de l’équipe entrepreneuriale est crucial dans la réussite d’une entreprise. Face à cette décision complexe, les entrepreneurs choisissent souvent de s’associer avec des personnes de leur entourage proche. Cyrine Ben-Hafaïedh alerte sur la nécessité de bien vérifier l’alignement des visions personnelles de l’entreprise de chacun ainsi que la compatibilité des personnalités et des valeurs, souvent supposés dans ces cas. Elle suggère également d’élargir ses recherches afin d’augmenter les chances de diversité fonctionnelle et cognitive dans l’équipe qui, sous condition du filtre interpersonnel précédent, améliorent sa performance. Les acteurs tiers (accompagnateurs professionnels notamment) ont bien un rôle à jouer mais ne peuvent se substituer aux entrepreneurs dans la constitution de l’équipe.
* A paraître dans La Revue de l’Entrepreneuriat