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À l’heure de l’hégémonie du streaming et de l’illusion du « tout gratuit », la juste rémunération des artistes est plus qu’une préoccupation : c’est une absolue nécessité à laquelle contribue Valentin Guilloux (diplômé du Programme Grande École en 2014), Senior Partner Manager chez PRS (Performing Right Society). Plongée dans les arcanes de l’industrie musicale et de la foisonnante vie londonienne…
Valentin GUILLOUX, on choisit rarement de travailler dans le milieu artistique par hasard. Quel est votre lien avec ce dernier ?
J’ai toujours eu un fort attrait pour l’art sous toutes ses formes et ce n’est pas un hasard si j’ai pris la tête du Bureau des Arts du campus parisien de l’IÉSEG lors de sa création. Initialement, j’étais davantage attiré par le cinéma, mais une mauvaise expérience professionnelle en 3e année m’a amené à bifurquer vers la musique. Un choix somme toute logique pour quelqu’un qui a grandi dans une famille de mélomanes ! J’ai ensuite axé mes différents stages, mémoires et autres expériences professionnelles sur ce secteur autour de thématiques aussi variées que le digital chez IDOL, la communication au sein du label PIAS, en passant par le commercial chez Universal Music ou le marketing chez Believe. J’ai finalement quitté cette industrie en même temps que la France à l’été 2017…
Quelles étaient vos motivations ?
En réalité, c’était un choix davantage guidé par le cœur que par des raisons professionnelles. Après plusieurs demandes de mutation à mon employeur de l’époque, j’ai en effet fini par démissionner pour suivre celle qui allait devenir mon épouse. Les conditions se sont avérées plus complexes que prévues : le pays vivait dans une sorte de flou dans le contexte des négociations liées au Brexit, notamment pour les demandes de visa de travail. J’ai passé une cinquantaine d’entretiens en maison de disques, sans le moindre résultat, jusqu’au jour où un ami m’a fait part d’une opportunité dans les médias au sein du Groupe Ericsson. J’y ai vécu quatre années aussi exigeantes que passionnantes, puis mon besoin quasi-viscéral d’évoluer dans le milieu de la musique s’est fait de nouveau sentir…
Comment vous y êtes-vous pris pour intégrer ce secteur réputé comme fermé ?
J’avais désormais le statut de « Settled Resident », une situation qui facilite grandement la recherche d’emploi, mais surtout de belles expériences sur mon CV. J’ai d’abord visé des maisons de disques, mais aussi des plateformes de diffusion comme Spotify, Facebook, Youtube, etc. Mon choix ne s’est donc pas immédiatement porté sur PRS car les sociétés de gestion collective avaient alors une image quelque peu poussiéreuse. J’ai décidé de creuser un peu plus le sujet en oubliant mes a priori et j’ai eu une surprise : un vent de nouveauté soufflait alors sur ces sociétés de droits d’auteur qui, à l’instar de la SACEM en France, investissaient beaucoup pour revenir sur le devant de la scène de l’industrie musicale. Je me suis rapproché d’eux et la connexion a été immédiate. J’ai rapidement compris que j’allais y vivre une belle aventure, tant personnelle que professionnelle et relever de nombreux défis.
Que faut-il retenir à propos de PRS ?
Société de gestion collective au Royaume-Uni, elle est en charge de la collecte des royalties liés au copyright musical. En d’autres termes, nous protégeons les œuvres des paroliers, compositeurs, arrangeurs, etc. partout où elles sont susceptibles d’être exploitées à des fins commerciales. Dans ce contexte, mon rôle de Senior Partner Manager du département international consiste à développer les relations avec nos « sociétés sœurs », c’est-à-dire nos homologues dans d’autres pays. J’ai la responsabilité de la région Europe du Sud (qui comprend notamment la France et la SACEM, notre troisième territoire le plus important après les Etats-Unis et l’Allemagne), qui représente environ 65 millions d’euros de chiffre d’affaires par an.
Quelles notions interviennent le plus dans votre quotidien ?
Le droit est la base de notre métier puisqu’il s’agit de protéger une création. Sans cela, les œuvres pourraient être utilisées sans rémunération, mettant à mal le processus même d’innovation artistique. Viennent ensuite les aspects politiques : chaque société sœur est régie par des règles qui lui sont propres et sont votées par leurs conseils d’administration. Charge à nous de comprendre leur fonctionnement pour s’assurer du respect des engagements et de la transparence des décisions. Ensuite, la négociation puisque nos relations sont régies par un contrat entre deux parties et nous devons défendre notre répertoire. Enfin, technologique puisque de nos jours, notre fuel, ce sont les données. Leur traitement nécessite de nombreux développements pour en tirer le maximum d’informations nécessaires à nos actions.
Quels sont les aspects les plus valorisants de votre métier ?
Aujourd’hui, mon rôle est davantage stratégique et cela me plaît beaucoup ! Savoir que mes actions permettent de protéger plusieurs millions d’euros pour les créateurs que nous représentons est une vraie source de satisfaction. Être en contact avec les pays dont je m’occupe est également un aspect que j’apprécie particulièrement, non sans une dose de complexité qui nécessite beaucoup de diplomatie : nous sommes partenaires (nous protégeons leur répertoire au Royaume-Uni, ils protègent le nôtre dans leur territoire), mais aussi concurrents. L’égo est une composante à prendre en compte dans ce métier, il faut beaucoup de tact pour assurer les négociations.
Vous avez la chance de vivre dans une des villes les plus cosmopolites d’Europe. Le coup de cœur a-t-il été immédiat ?
Bien entendu ! Londres est effectivement foisonnante, même si comme toutes les villes du monde, elle a changé par bien des aspects depuis la crise COVID. Malgré tout, quel plaisir de sortir du travail et d’assister à un concert de reprise d’AC/DC sur le trottoir d’en face ! La ville est multiculturelle, ouverte et décontractée : boire une bière IPA au pub à Shoreditch et discuter du dernier match de rugby avec un banquier indien de la City et un punk polonais de Camden est tout à fait courant. Récemment papa, j’ai un peu moins de temps libre pour profiter des trésors de la ville, mais il y en a véritablement pour tout le monde, pour tous les goûts et toutes les sensibilités.
Quelles différences avec la France avez-vous pu noter concernant la manière d’appréhender le monde du travail ?
J’ai vraiment apprécié la liberté et le sens des responsabilités auxquels j’ai rapidement eu accès : on vous donne une mission, vous êtes aux commandes et on vous fait confiance. Vous pouvez demander de l’aide ou vous débrouiller seul, personne ne vérifie à quelle heure vous arrivez ou quittez le bureau… mais vous devez atteindre votre objectif, délivrer ce qui est attendu et c’est votre unique responsabilité. J’ai également apprécié l’accès plus facile aux équipes dirigeantes et l’approche internationale : ma précédente manager était ukrainienne, la nouvelle est espagnole.
L’industrie musicale doit s’adapter à de multiples défis d’avenir. lesquels vous viennent spontanément en tête ?
Les auditeurs et la société évoluent sans cesse et la consommation de musique n’a jamais été aussi importante. Nous devons continuer à développer nos différentes sources de revenus comme le streaming, mais également les plateformes de VOD comme Netflix ou celles de jeux-vidéo comme Playstation avec lesquelles nous sommes encore en négociation. Chacune d’entre elles diffuse de la musique à des fins commerciales et doit donc reverser des royalties aux artistes. Nous surveillons également les Meta-Verse, des lieux qui peuvent mettre à disposition des morceaux de celles et ceux que nous représentons. Enfin, l’Intelligence Artificielle qui devrait sans nul doute bouleverser notre secteur et rebattre les cartes. Il reste beaucoup de questions en suspens sur ce sujet et il va falloir se mettre rapidement d’accord car le développement des modèles d’I.A. est aussi rapide que préoccupant.
Comment envisagez-vous votre avenir professionnel à court et moyen-terme ?
Pour le moment, tout se passe bien chez PRS et mon objectif est de couvrir progressivement le plus de sujets possible pour mener à terme des projets d’envergure sur lesquels je travaille. Que ce soit pour une maison de disques, un label ou une plateforme de diffusion, l’avenir du secteur est riche en défis et en opportunités : il va falloir être réactif, créatif et ouvert d’esprit. Je m’y prépare dès maintenant…
Parcours
En parallèle de son mémoire, Valentin décide de poursuivre son parcours académique par un MBA spécialisé dans les industries créatives à l’EMIC. Il sort diplômé de cette formation et de l’IÉSEG un an plus tard.
Après avoir tenté la création d’entreprise, il rejoint la maison de disque Believe où il reste deux ans. L’été 2017 marque un tournant international : départ pour le Royaume- Uni, d’abord chez Red Bee Media, avant un retour à ses premières amours – la musique – chez PRS.
Il y est aujourd’hui Senior Partner Manager du département International.